Pourquoi je fais partie de la tribu des écoworkers
Suite aux premiers articles écrits par Claire-Emilie et Fabienne, membres de la tribu des écoworkers, je prends la suite pour partager également ce qui me motive à faire partie de cette tribu.
J’espère que cet article vous permettra de mieux me connaître, et peut-être, vous inspirera, vous donnera envie de nous suivre ou de rejoindre notre aventure.
Résumé
Dans cet article, je partage mon parcours et mes leçons apprises :
- Rentrer dans le moule, faire des études et une grande école ne permet pas de trouver sa raison d’être dans la vie
- Il y a des beaux métiers qui existent mais ils sont pervertis par notre économie qui ne reconnaît que les flux marchands
- Peu importe la structure dans laquelle je travaille ou le projet, j’expérimenterai des dysfonctionnements et de la souffrance là où l’être humain reproduit les systèmes qui l’ont conditionné, ceux dans lesquels l’homme est un loup pour l’homme et l’argent maître-roi
- Ce n’est pas une question d’être adaptée ou inadaptée au monde du travail, de ne pas trouver ma place ou la “bonne case” dans laquelle rentrer, c’est aussi celle du paradigme de société dans lequel on vit
- Heureusement, il existe une autre manière de travailler au service d’une économie plus vertueuse, qui valorise les flux non-marchands (connaissances, émotions, confiance) dans la coopération et l’intelligence collective… c’est ce que défend la tribu des écoworkers !
- Aujourd’hui je n’attendrai pas d’avoir 40 ans pour me réveiller, je ne me ruinerai pas la santé dans une entreprise “pour faire mes preuves” et je ne m’impliquerai que dans des projets qui contribuent (vraiment) à créer une meilleure société pour demain.
L’enfance
Je suis née au Vietnam, adoptée par des Français et j’ai grandi jusqu’à mes 18 ans en Bretagne dans une petite ville tranquille de 30 000 habitants.
Quand j’étais petite, je me souviens avoir demandé à mes parents : « pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas vivre sans argent, juste en faisant du troc de services ou de compétences ? » À cette époque, cette réflexion avait amusé mes parents qui y voyaient la naïveté de l’enfance. Nous ne connaissions pas encore la théorie des 5 flux… !
Je grandis dans une famille modeste avec des valeurs d’honnêteté, de travail, d’effort et de mérite. Aucun de mes parents n’a fait d’études et la priorité familiale a toujours été l’éducation. Pour mes parents, les études sont la voie de l’ascension sociale, ce qui permet de choisir son métier et d’avoir une vie épanouie.
C’est avec cette idée en tête que je pense trouver ma place dans le monde du travail et dans la société en général. Je coche toutes les cases qui me permettent d’avoir un “parcours réussi” : bonne élève, j’intègre une grande école et à 18 ans, je monte à Paris.
Les premières désillusions
Très rapidement, je me rends compte que j’ai dû mal à trouver ma voie et qu’intégrer une grande école n’aide pas à la trouver.
Je veux devenir journaliste car j’aimais écrire des portraits pour Ouest-France quand j’étais Jeune Correspondante locale. Mais je rencontre beaucoup de professionnels qui galèrent entre deux piges, ils ont l’air éteints. Un court stage dans un studio de production me montre que les enjeux économiques poussent bien souvent à produire des sujets commerciaux plutôt que des reportages de fond.
Je m’intéresse à la sociologie mais après un stage d’observation en centre de recherche, je me rends rapidement compte que les chercheurs sont contraints par la culture académique qui veut les spécialiser, les faire publier frénétiquement et que presque personne pour qui mes recherches seraient vraiment utile ne lirait ce que j’écris.
Je me dirige enfin vers la diplomatie parce que créer des ponts entre les cultures (en particulier France-Asie), ça me parle. Mais je découvre que les études en Master d’Affaires Publiques qui mènent au Ministère des Affaires Étrangères sont orientées vers la préparation des concours, la rédaction de dissertations hors-sol et un climat franco-français compétitif dans lesquelles je trouve peu de sens…
J’ai l’impression qu’à chaque fois, ce qui m’intéresse dans un domaine et ce que je trouve de noble en soi est confronté à la triste réalité et amoindri par notre système académique et économique. Pourquoi les métiers qui ont fait rêver tant de volontaires sont-ils aujourd’hui vidés de leur substance jusqu’à rendre les gens malheureux ?
La réorientation scolaire
Je décide de quitter mon Master d’Affaires Publiques à Sciences Po en plein milieu d’année ce qui n’est pas une décision facile. J’explique à mes parents que j’ai besoin de plus de temps. L’école me propose de partir faire un stage et de vivre mes expériences pour choisir un autre master l’année prochaine. Je me lance dans l’exploration.
C’est ainsi qu’en 2017, je deviens bras-droit de la PDG dans une startup de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) qui a pour but de digitaliser le micro-bénévolat en mettant en relation les particuliers qui ont besoin d’aide avec ceux qui proposent de l’aide, le tout de manière géolocalisée. Je change de casquette comme de chemise, je fais du Community Management, du service client, du suivi Grands Comptes, du crowdfunding, du design de produit… J’apprends à être polyvalente, opérationnelle et à monter en compétences sur le tas. Je vois directement les résultats de mes actions et ça me plaît.
Ensuite, je fais un autre stage pendant l’été au Social Bar, un bar de l’ESS également, qui a pour but de créer du lien social en faisant en sorte que les gens qui ne se connaissent pas aillent se parler via des jeux brise-glace. J’organise des évènements, je travaille sur la communication et je passe derrière le bar de temps en temps pour faire les cocktails Mojito.
2017, c’est aussi le moment où je m’engage dans l’associatif : j’intègre l’association ADAO, je me forme à l’art oratoire et je deviens formatrice bénévole pour des jeunes de milieux populaires. Grâce à cette expérience, je dépasse réellement ma timidité, je prends des responsabilités, je deviens Présidente de l’association et j’entreprends de nouveaux projets.
Avec toutes ces expériences, c’est décidé : si je souhaite avoir un impact positif sur le monde, ce sera en m’engageant dans l’entrepreneuriat.
Les petites lumières
Je fais un virage à 180° du domaine des Affaires Publiques pour atterrir dans le Master Economics & Business de Sciences Po. Mon objectif : travailler dans le monde de l’entreprise et de l’entrepreneuriat.
Dans ce Master, il y a des matières traditionnelles qui ne me parlent pas du tout comme la finance et d’autres matières avant-gardistes qui me parlent beaucoup comme le futur de l’entreprise. On y décortique la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises dite PACTE et on imagine l’entreprise de demain en s’inspirant des formes d’organisation alternatives.
Je me passionne pour les nouvelles manières de travailler (New Ways of Working) en rédigeant des articles pour OpenWork — Le Monde Après, une entreprise de portage salarial (le portage salarial est un dispositif un peu révolutionnaire qui permet de travailler en tant qu’indépendant tout en ayant les avantages du salariat).
Toujours intéressée par la perspective d’entreprendre, en 2018, je participe au start-up weekend WOMEN où je rencontre Faustine Duriez de Cocoworker. Elle m’invite dans un espace de coworking qui s’appelle “Officaire” où je rencontre pour la première fois Duc Ha Duong. C’est son entreprise Officience qui détient ces locaux. Mais il me dit que ce n’est pas vraiment une entreprise, c’est une “tribu”. Il parle du livre “Reinventing organizations” de Frédéric Laloux dont il s’inspire.
Je continue mon chemin sans savoir que je recroiserai celui de Duc deux ans plus tard. Je me fais rattraper par le rythme des études et le stage de césure qui stresse tous les étudiants qui veulent maximiser leurs chances d’avoir “un bon avenir”.
Nouveaux déboires
Je comprends que les entreprises ont besoin de changer de modèle et c’est donc tout naturellement que je m’oriente vers “le conseil en conduite du changement”.
J’obtiens un stage de Consultante Junior en Change Management entre juillet et décembre 2018 pour œuvrer à la transformation des entreprises. Je découvre un nouveau monde : celui du conseil et des grands groupes. Je découvre aussi la hiérarchie, la politique en entreprise et “l’accompagnement au changement” dont la logique ressemble à celle d’une cascade. Les directives venues du Global se déploient implacablement sur toutes ses filiales en essayant de créer le moins de friction possible. Pour moi qui aime être proche du terrain, avoir une visibilité sur mes projets de A à Z et mesurer les résultats de mes actions, je comprends que la culture de la plupart des grands groupes ne me conviendra pas et je retourne alors, encore plus certaine de mon choix, vers l’entrepreneuriat.
En 2019, je développe un projet de création d’entreprise avec deux associés dans mon domaine d’expertise : la formation en prise de parole en public. Et là, je me rends compte que créer son propre projet n’est pas non plus la solution magique pour être épanouie au travail. Sans m’en rendre compte, je me déconnecte petit à petit de mes valeurs et de mes besoins, ce qui crée chez moi un épuisement à la fois mental, émotionnel et physique. Je comprends alors que le plus important est d’être alignée avec soi-même au-delà des formes de travail ou des statuts juridiques.
J’entame un voyage introspectif de 3 semaines en Asie sans savoir où cela va me mener. Je me rends compte qu’il n’y a finalement pas besoin d’aller très loin pour se retrouver. Sur une plage déserte des îles Gili près de Bali, je rencontre Aïsha qui me parle de sa sœur. Elle s’appelle Rita Sinaceur et après avoir passé une dizaine d’années dans un grand cabinet de conseil, elle a quitté son job pour reprendre des études de philosophie et monter sa boîte Aim Collective : un cabinet de conseil d’un nouveau genre qui transforme les organisations avec des chercheurs philosophes. Le projet me parle : c’est promis, de retour en France, je la rencontrerai.
Le retour
Retour à Paris. Je reprends l’entrepreneuriat du bon pied en créant mon organisme de formation en communication orale Ad Maiora. Ad Maiora veut dire “vers de plus grandes choses” en latin. Par la prise de parole en public, je souhaite ouvrir une porte vers la confiance en soi et le développement personnel. Récidiver dans l’entrepreneuriat et le faire toute seule est une nouvelle étape franchie pour moi. J’adore la liberté d’indépendante qui me permet de gérer mon temps comme je le souhaite, mais je me rends rapidement compte au bout de quelques mois que j’ai aussi besoin des autres. Je chemine progressivement de l’indépendance vers l’interdépendance…
C’est Rita qui me réconcilie avec le “faire ensemble”. Je m’implique dans le cabinet Aim qui fonctionne sous la forme d’un collectif de freelances. L’indépendance de chaque consultant permet à chacun d’avoir ses propres projets en parallèle et d’apporter des expertises diverses qui viennent nourrir le cabinet. Enfin un lieu où on valorise la riche unicité de chacun, la pluridisciplinarité et la liberté !
Rita me demande : “Tu connais Duc ?”. Elle a travaillé avec lui sur la loi PACTE et la raison d’être d’Officience. Rita me parle également du collectif Open Opale, qui œuvre à favoriser l’émergence de nouvelles formes d’entreprises basées sur la raison d’être, l’auto-gouvernance et l’authenticité telles que décrites par Frédéric Laloux. Je participe à une première rencontre avec Open Opale et là-bas encore, on me demande : “Tu connais Duc ?”. Décidément, tous les chemins ne mènent pas à Rome mais peut-être à Duc !
Et c’est ainsi que de ricochets en ricochets, j’atterris à nouveau deux ans plus tard à Officaire dans une réunion autour du projet d’écoworking lancé par Duc, où tout mon parcours semble s’y décanter.
On y parle de créer un lieu de travail qui casse les silos, où les gens ne travaillent pas côte-à-côte mais ensemble, sur des causes communes, grâce à la coopération et à l’intelligence collective. On y parle de créer une nouvelle économie où la valeur n’est pas que financière mais aussi immatérielle, faite d’échanges de confiance, d’émotions et de connaissances, où chacun contribue à sa juste mesure. On y parle de créer le travail du futur et de l’expérimenter parce qu’il ne se construira pas tout seul sans des gens éveillés pour le rêver.
Le bilan
Il m’a fallu environ 7 ans pour essayer de trouver ma place dans ce monde du travail et le chemin n’est pas encore terminé…
J’ai beaucoup exploré, j’ai fait des stages dans différents domaines, j’ai testé la start-up, le grand groupe, l’associatif et l’entrepreneuriat. Je suis passée par des désillusions, des tours en rond et des remises en question existentielles. J’ai poussé suffisamment de portes pour ne pas avoir envie de m’y aventurer et pour comprendre tout ce que je ne veux pas.
Aujourd’hui, ce qui est sûr c’est que je n’attendrai pas d’avoir 40 ans pour me réveiller, je ne me ruinerai pas la santé dans une entreprise “pour faire mes preuves” et j’arrêterai de suivre les chemins tout tracés.
J’ai fait le choix d’être indépendante pour concevoir mon travail moi-même et créer le monde dans lequel j’ai envie de vivre. Ce choix, qui n’est ni le plus facile, ni le plus confortable, me permet chaque jour de me poser les bonnes questions.
Depuis que j’ai fait le choix de la liberté, je commence tout juste à rencontrer les bonnes personnes sur ma route, celles qui ne sont justement pas emprisonnées dans le monde du travail tel qu’il nous est proposé aujourd’hui.
Toutes ces personnes éveillées sont des écoworkers et peut-être que vous l’êtes aussi, sans le savoir.
Quand j’étais petite, je me souviens avoir demandé à mes parents : « pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas vivre sans argent, juste en faisant du troc de services ou de compétences ? »”. Avec le recul, je me dis que la question n’était pas si bête que ça et que j’étais déjà une écoworkeuse dans l’âme !
Crédits illustrations : Officience Creative Tribe.